jeudi 31 décembre 2009

Cartes géographiques du Cap Horn

CHRONOLOGIE DE LA VIE DE FRANCISCO COLOANE

PEINTURE FRANCISCO COLOANE


1910 : Il est né le 19 juillet à Quemchi, port de l’île de Chiloé, au sud du Chili. Ses parents sont M. Juan Agustin Coloane, capitaine de bateaux baleiniers, et Mme Humiliana Cardenas. Son père avait été auparavant chasseur de baleines et chasseur de loups de mer.

1916 : Il commence ses études primaires à l’école rurale de Huite (Chiloé).

1918 : Il entre à l’école de Quemchi, où il finit ses études primaires en 1920.

1921 : Il prépare la première année de «Humanidades» (cinquième) dans le Séminaire d’Ancud.

FRANCISCO COLOANE JEUNE
1923 : En juillet de cette année, il part habiter à Punta Arenas, ville de l’extrême sud chilien où il continue ses études à l’école San José de la congrégation Salésienne, puis au Lycée de Punta Arenas.
Il y fait des rencontres très importantes comme M. Roque Esteban Scarpa, José Grimaldi, Simon Eterovic et Franco Brzovic, qui feront partie plus tard de la vie littéraire chilienne.

1924 : Francisco Coloane était avant tout un journaliste, il écrit ses premières nouvelles par nécessité économique, puisque les honoraires du métier ne lui permettaient pas de mener un train de vie élevé, bien au contraire.

Il se lance dans le journalisme à l’âge de 14 ans. A Punta Arenas, il s'occupait des deux pages intitulées «Semanario Teatral» (Hebdomadaire Théâtral). Il y faisait un inventaire des films et des activités théâtrales, plutôt infimes, dans une ville situé au bout du monde. Son seul salaire : les tickets pour le cinéma que lui donnait le manager italien M. Roméo Mationi, propriétaire de deux salles de cinéma de la ville de Punta Arenas.

1926 : A seize ans son travail littéraire commence, Coloane était en troisième au Lycée de Punta Arenas. La ville de Punta Arenas a organisé un concours de littérature à l’occasion des fêtes du Printemps. A la demande de son professeur, il écrit un récit pour y participer. Il a tout simplement appelé ce récit «Printemps». Il a reçu le premier prix.

Cette rédaction a été publiée, la même année dans «La Revista Austral» de Magallanes.

1927 : Sa mère décède. Il arrête ses études.

1928 : En mars, il fait son service militaire dans le Régiment N°17 à Punta Arenas

1928 : En novembre sa première nouvelle, «La Mirada del indio» ("Le regard de l’indien"), est publiée dans La Revista Austral.


EN TERRE DU FEU  EN 1929
1929 : Il finit son service militaire d’où il sort avec le grade de Sergent premier de réserve en mars de cette année.
Sa première expérience dans le journalisme ne l’a pas transformé en un professionnel de la presse. Il a dû chercher d’autres moyens pour gagner sa vie.

Il est engagé par la société Sara Braun, pour travailler comme apprenti à l’estancia Sara, dans la côte orientale de la Terre du Feu, en territoire Argentin. Il travaille à cet endroit pendant une année en faisant le travail d’éleveur de moutons, d’ouvrier agricole et finalement, celui de contremaître.

Il a travaillé aussi comme dompteur de chevaux, travail qui lui a permis de connaître à fond la vie des indigènes de l’extrême sud chilien. Il continuera après en revêtant l’uniforme de «cabo premier» de la Marine Chilienne, chargé du remorqueur «El Intrépido» qui s’occupait du ravitaillement de navires dans la région de Magallanes.

De telles occupations n’ont pas découragé sa vocation de chroniqueur. Il réussi à convaincre le directeur du journal «El Magallanes» qu’il fallait faire des chroniques sur les faits divers de la ville. Il travaille quelques mois comme rédacteur au journal. Il écrivait une colonne intitulée «Desde el miranete», qu’il signait avec le pseudonyme de «Hugo del mar» (Hugo de la mer).

1930 : En septembre de cette année, il part cap la capitale avec un rêve, travailler dans l’un de journaux qui arrivaient à Punta Arenas, «El Mercurio».

Il ne connaissait personne à Santiago. Le lendemain de son arrivée il lit dans la rubrique «Offre d’emploi» du journal «El Mercurio», une annonce de la Compagnie de Gaz et des luminaires qui cherchait des jeunes costauds pour la vente de charbon «Coke». Il a été tout de suite pris grâce à sa taille. Il chargeait les sacs de charbon à travers les rues afin d’économiser l’argent que la l’entreprise lui donnait pour les frais de transport.

Il rencontre un chroniqueur du journal «La Nación», José Bosch. Un jour, ce dernier lui rend visite dans la pension, le trouve malade et sans argent pour l'achat de médicaments. Il lui conseille d’écrire un conte sur la ville de Magallanes pour le faire parvenir à un ami qui travaille au journal «El Mercurio», il pourrait ainsi obtenir 250 pesos. Coloane suivit son conseil. Au bout de quelques heures il avait écrit la nouvelle «Lobo de un Pelo». La nouvelle fut publiée peu de jours après avec de belles illustrations d’un dessinateur talentueux. Ce récit est connu aujourd’hui avec le nom de Cabo de Hornos.


FRANCISCO COLOANE PHOTO LOUIS MONIER
José Bosch lui a proposé de travailler comme reporter. Naguère le métier de journaliste n’était pas assujetti à de titres universitaires. Le journalisme était une profession mal payée qui convenait très bien à des écrivains, de poètes ou à des étudiantes fauchés.

Coloane est accueilli à l’essaie à « Las Ultimas Noticias» comme chroniqueur policier. Son premier reportage en tant que chroniqueur policier il l’a fait en tant que cadavre ! Le chef de chronique l’a envoyé faire le reportage d’un crime dans la banlieue de Santiago, il fallait faire des photos du cadavre. Lorsqu’il est arrivé sur le terrain le cadavre avait été déjà emporté. Que faire ? Il fallait absolument des photos pour son premier reportage. Il a alors improvisé. Il s’est allongé sur l’herbe avec son manteau au revers. Le lendemain la photo apparu au journal était la sienne. Grâce à cet artifice il a pu continuer à faire de chroniques de fait divers.

Il fait la rencontre de Luis Enrique Délano écrivain qui occupe les mêmes fonctions que lui au sein du journal.

La même année, il este présenté à l’acteur et metteur en scène, M. Enrique Barrenechea, il participe dans sa troupe comme acteur dans les représentations de la pièce «Arbol Viejo» (L’arbre vieux) au théâtre «La Comedia», pièce d’Acevedo Hernandez, avec Eugenio Retes et Gerardo Grez ; Molino Bremen, de Carlos Barella et «Entre Pascua y Año nuevo» ; comédie d’Enrique Barrenechea.

1931 : Il quitte le journal et se joint à la troupe de théâtre argentine Rullan Torres, laquelle se dissout peu de temps après à Valparaiso. Coloane revient à Magallanes où il travaille comme teneur de livres et magasinier dans la Compagnie Européenne Foraki, entreprise faisant des explorations pétrolières dans la zone australe du Chili.

Il a travaillé après dans d’autres journaux tels que «La Nación», «El Mercurio», dans la revue «Zig-Zag», mais il n’y restait pas longtemps.

1932 : Il épouse Mlle Manuela Silva Bonnaud.

Il entre dans la Marine National, grâce à un concours, comme employé aux écritures. Il est affecté à la Station Navale de Magallanes.

1933 : Naissance de son fils Alejandro.

Le quinze septembre de la même année son récit «Perros, Caballos, Hommes» (Chiens, chevaux, hommes) est publié dans la revue «Lecturas» à Santiago.

En octobre dans l’exercice de ses fonctions il réalise un voyage de trois mois dans le navire école «Baquedano». Cette expérience a été d’une importance capitale pour l’élaboration de son premier roman pour la jeunesse «El Últimos Grumete de la Baquedano» («Le dernier mousse»).

1934 : Il devient adjoint du magasinier à la station navale de Magallanes.

1935 : Il quitte l’armée en se consacre à des activités commerciales.

1936 : Il revient à Santiago et s’engage à nouveau au journal «Las Últimas Noticias» comme chroniqueur.

1937 : Il retourne à Magallanes où il est désigné comme officier et puis secrétaire du Prud’hommes.

Il permute sa fonction avec un fonctionnaire du département d’Extension Culturelle du ministère du Travail à Santiago. Au même temps il est rédacteur de la revue Zig-Zag.

1939 : Il renonce à sa charge au Ministère du Travail pour se consacrer à la critique théâtrale et de ballet dans le journal «La Nación». Il deviendra chef de la section sport du journal «El Sol» et chef de chroniques du journal «Crítica».

1940 : Il entre dans les annales de la littérature chilienne en recevant le premier prix du concours de romans pour la jeunesse organisé par l’éditorial «Zig-Zag» et la Société d’Ecrivains du Chili, pour son roman «El último grumete de la Baquedano», ce roman va être publié l’année suivante.

1941 : Il devient inspecteur administratif du Département de Prévision sociale du Ministère de la Santé.

Cette même année il reçoit le premier prix du Concours Municipales du IV centenaire de la ville de Santiago du Chili pour son premier recueil de 14 nouvelles «Cabo de Hornos», publié dans le courant de l’année.

1945 : L’année est très prospère pour Francisco Coloane, trois de ses livres de genres différent ont été publiés : son recueil de quatre nouvelles «Golfo de Penas», son romans pour la jeunesse «Los conquistadores de la Antártica», romans qui reçoit le prix du Concours des éditions «Zig-Zag», ce romans es en quelque sorte une continuation du roman «El Último grumete de la Baquedano», et une pièce de théâtre en trois actes «La Tierra del Fuego se apaga» (La Terre du Feu s’éteint).

Peu à peu F. Coloane journaliste passe au deuxième plan au profit de F. Coloane écrivain. L’énorme succès de ses œuvres le transforme en l’une de principales figures de la «Génération du 38». Cependant, ni le journalisme ni la littérature ne lui permettaient de mener un train de vie honorable. Il doit chercher d’autres voies pour gagner sa vie sans abandonner pour autant sa machine à écrire.

1947 : Invité par la Marine Nationale, il participe, entre janvier et mars, à la première expédition Chilienne à l’Antarctique. Les observations que Coloane fait pendant ce voyage vont être utilisées par l’écrivain dans la deuxième partie de son roman «El Camino de la ballena» (Le chemin de la baleine).

1948 : Il est exonéré de son poste à la Superintendance de Sécurité Sociale suite à sa participation au sein du parti communiste. Il s’établit pendant plusieurs mois à Buenos Aires en Argentine, où il réalise des activités journalistiques et radiophoniques.

1949 : Il travaille dans le département de propagation de l’Institut Bactériologique de Santiago.

 FRANCISCO COLOANE PHOTO AUTEUR ANONYME ARCHIVE DE L'UNIVERSITE DU CHILI 1953 
1950 : Il exerce les fonctions d’éducateur sanitaire à la Direction Générale de Santé. Il deviendra ensuite chef de l’Imprimerie et Matériaux Audiovisuels au sein de cette Direction. Lorsque cette Direction fusionne au ministère National de Santé, Coloane occupe le poste de rédacteur de la revue et du bulletin du Ministère.

1956 : Il collabore dans la réalisation et participe en tant qu’acteur dans le film «Cabo de Hornos», dirigé par Tito Davison, dont le scénario appartient au mexicain Jesús Cardenas. Cette année son succès entant qu’écrivain de nouvelles est consolidé. Les éditions del Pacifico publient son recueil de huit récits «Tierra del Fuego».

1957 : On met en scène sa pièce de théâtre «La Tierra del Fuego se apaga».

Il reçoit le Prix Municipal de nouvelles pour son livre «Tierra del Fuego» et le prix annuel de Littérature de la Société d’écrivains du Chili, en avril.

1958 : En septembre, il voyage en l’ex-Union Soviétique. Pendant son séjour il écrit «Viaje al Este» (Voyage vers l’Est).

Au mois d’octobre il est invité, avec l’écrivain argentin Raul Gonzalez Tuñon, au Congrès d’écrivains d’Asie et Afrique qui se réalise en Tashkent. Il ne rentre au Chili qu’à la fin de cette année.

1959 : Il prend sa retraite au Ministère de la Santé.

Edition de «Viaje al Este»

FRANCISCO COLOANE ET SON FILS JUAN FRANCISCO BATIT SA MAISON A QUINTERO EN 1960

1960 : En juillet, invité par le gouvernement cubain, il assiste à la célébration du «26 juillet» à La Havane.
Il participe en tant que jury à la «Casa de las Américas» (Maison des Amériques).

1962 : Il voyage à la République Populaire de Chine engagé par le gouvernement de ce pays pour travailler dans la rédaction de la revue en espagnol «China reconstruye» (La Chine reconstruit).

Il réapparaît en tant que romancier, « El camino de la Ballena » (Le sillage de la baleine) est édité.

FRANCISCO COLOANE EN 1964
1964 : Il rentre au Chili en février.

Le 31 août, il reçoit le Prix National de Littérature (Chili)

Il prend sa retraite comme journaliste.

1968 : «El témpano de Kanasaka» est édité.

1996 : Pendant cette année il reste plusieurs mois en Europe, invité par l’ex République Démocratique Allemande. Pendant son séjour il écrit une importante collection d’articles-reportages sur ce pays socialiste, certains de ces articles ont été publiés au journal «El Siglo» et au journal «Noticias de ultima Hora», beaucoup d’autres de ces manuscrits ont disparus.


Il est élu Président de la Société des écrivains du Chili.

1967 : L’institut Chilien-Tchécoslovaquie édite la nouvelle «De como murio el chilote Otey», plus une critique du professeur Oldrich Bielic.

1969 : Il voyage en Bolivie envoyé par la Société d’écrivains du Chili, il participe dans de manifestations pour la liberté de Rédi Peyé, il s’engage pour les droits de l’homme.

À ROME EN 1979
1980 : Il devient membre de l’Académie chilienne de la Langue.

1982 : Il fait un séjour de huit semaines en Inde. Dans ce contexte il écrira deux libres : «Crónicas de India» (Chroniques d’Inde) et le roman «Rastros del Guanaco Blanco» (Traces de Guanaco blanc).

1985 : Il voyage en Equateur, il visite les Iles Galapagos, il publie une série de chroniques sur ces îles.

F. Coloane est toujours du côté de la justice sociale. Sa notoriété ne l’a pas sauvé de la censure. Il avait fait une anthologie Nérudienne qui fut réquisitionnée pendant la dictature du Général Pinochet.

A l’occasion de ses 85 ans plusieurs activités ont été organisées au Chili en son honneur. Ces commémorations culminent avec la publication d’un recueil de chroniques «Velero Anclado».

1995 – 1996 : Il voyage en France invité au festival d’écrivains de la mer à Saint-Malo.

Il travaille sur un recueil de naufrages et tempêtes.

1997 : En mai, il participe comme invité au festival de «Étonnant voyageur» à Saint-Malo.

Il reçoit la décoration de «Chevalier des arts et des lettres»
L’Ordre des Arts et des lettres

2000 : «Los pasos del hombre» (Le Passant du bout du monde) est édité.

2002 : Edition de «Naufragios» (Naufrages).

Il est mort le 05 août à 92 ans.

Carmen Paz Vasquez

mercredi 30 décembre 2009

Terre de Feu

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Des mercenaires de Julio Popper en faisant feu. Dans le sol ont observé le cadavre d'un selk'nam. Photo du livre Le Génocide des Ona dans Wikipédia.

La défaite talonnait ces trois cavaliers qui traversaient au grand trot la plaine du Páramo. L'ultime fusillade contre les forces de Julio Popper avait eu lieu sur les rives du rio Beta, et les ennemis de l'opulent chercheur d'or, une soixantaine d'aventuriers de toutes nationalités, s'étaient dispersés, vaincus et décimés.Certains s'enfuirent vers les lacets de la cordillère Carmen Sylva, ainsi baptisée par Popper lui-même en l'honneur de sa reine roumaine. D'autres s'évanouirent dans les vastes herbages de China Creek et quelques-uns gagnèrent les forêts du rio Mac Lelan, refuge des voleurs de bétail et des derniers Indiens Ona.Seuls Novak, Schaeffer et Spiro suivirent la côte sud de la Terre de Feu, dans l'espoir de se cacher derrière le sombre piton rocheux du cap San Martín. Ils disposaient encore de quelques balles pour leurs carabines et d'une cartouchière complète de calibre 9 mm pour leur unique colt à canon long.Ces maigres munitions, avec lesquelles ils n'auraient pu affronter une fusillade prolongée, étaient leur dernier espoir. Dans leur coeur de fugitifs, comme dans le vide angoissant de la steppe fuégienne, tout n'était que déroute, fatigue, accablement.
—Tu as du sang sur le pantalon… dit Novak d'une voix étrangement affectueuse, en désignant du doigt la jambe droite de Schaeffer.
—Oui, je sais, répondit froidement Schaeffer levant ses yeux bleus vers le ciel lourd, comme un oiseau qui étire le cou avant de prendre son envol.
—Une balle? interrogea Spiro.
—Non, une merde de guanaco ! proféra Schaeffer avec rage.
—Il vaudrait mieux regarder, dit Novak ralentissant le trot de son cheval.
—Regarder quoi?
—La blessure, répliqua l'ex-sergent allemand, retrouvant le ton de l'officier qui se préoccupe de l'état de sa troupe.
—Ce n'est rien, continuons! lança Schaeffer en éperonnant sa monture.
Cosme Spiro lui jeta un regard méfiant et éperonna lui aussi son cheval pour prendre la tête du trio.Le vieux Schaeffer leva de nouveau la tête vers le ciel. Plus que les élancements de la blessure, c'était l'hémorragie qui le tourmentait; chaque fois qu'il appuyait le pied sur l'étrier pour suivre le rythme du trot, il sentait une onde liquide sourdre de sa blessure et se répandre en une angoissante tiédeur le long de sa jambe jusqu'à sa botte qui peu à peu s'imprégnait de sang.De la main droite posée sur sa vieille carabine allemande à canon scié, il pesait sur le pommeau de la selle pour tenter d'alléger la pression de son pied sur l'étrier; mais c'était inutile, l'onde tiède continuait de s'écouler avec une épuisante régularité, se répandant insidieusement sur la peau et s'infiltrant dans la botte. Alors, tel un oiseau blessé, Schaeffer tendait le cou, non pour implorer le ciel, mais pour lancer un chapelet de malédictions à la face de Dieu qui l'avait entraîné dans cette pitoyable aventure.
—Qu'est-ce qui m'a pris de me battre contre Popper! murmura le vieux entre ses dents, alors qu'il me traitait comme un compatriote, moi qui ne suis qu'un misérable Hongrois échoué sur ces côtes. De temps en temps, tel le flux tiède et sournois du sang, surgissaient dans son esprit des souvenirs fugaces de ses aventures auprès du riche chercheur d'or du Páramo. C'est ainsi; la douleur et l'approche de la mort font défiler les images de la vie. Il se souvint de sa première rencontre, dans un bar de Punta Arenas, avec cet officier ivre qu'il avait pris pour un lieutenant de l'armée austro-hongroise… Il s'appelait Novak… et chevauchait maintenant à ses côtés, accablé par le poids de la défaite! Popper l'avait nommé commandant de sa garde personnelle, à laquelle il avait imposé l'uniforme militaire austro-hongrois, ainsi qu'à sa police du Páramo, dont les armes et l'allure martiale faisaient régner l'ordre parmi les travailleurs et les indigènes.
Novak avait payé les boissons avec une étrange pièce de monnaie que le patron du bar posa sur une balance à or avant de l'accepter. Elle pesait exactement cinq grammes, frappée côté pile d'un grand 5 barré du mot grammes et bordée de l'inscription «Lavoirs d'or du Sud»; côté face : «Julio Popper —Terre de Feu— 1889». Schaeffer s'étonna de cette curieuse pièce, lui qui se retrouvait les poches vides dans ce port de Punta Arenas où il était arrivé après avoir vainement traîné sur les côtes du Détroit de Magellan, à la recherche de gisements aurifères dont il ne restait plus, quand il les atteignait, que des trous abandonnés. Ce jour-là, il parla avec Novak et fut séduit par la renommée du riche Roumain qui se faisait appeler «Roi du Páramo». Encouragé par le chef de la garde, il décida de s'enrôler— avec la secrète intention, comme tous ceux que fascinait l'éclat de l'or, de devenir aussi riche que son nouveau maître. A bord du lougre Maria Lopez ils fendirent les eaux du Détroit, longeant la côte Atlantique de la Terre de Feu, et accostèrent au Páramo, gigantesque brise-lames qui s'avance d'une douzaine de kilomètres dans l'océan, protégeant de son bras de pierre la vaste baie de San Sebastián, où le niveau de la mer monte et descend de plus de dix mètres, découvrant des kilomètres de plages argileuses bordées de dunes et de maquis qui donnent naissance aux immenses étendues herbeuses de la plaine fuégienne.Cette région est connue sous le nom d'El Páramo et c'est là que Julio Popper, le premier Blanc ayant traversé l'île du Détroit de Magellan jusqu'à l'océan Atlantique, avait découvert des gisements d'or en poudre, paillettes et pépites. Rapidement, la rigole, le pic et le tamis s'avérèrent de bien pauvres auxiliaires pour l'ambition de l'heureux chercheur d'or. Observant la différence considérable de niveaux provoquée par les marées, il trouva le moyen d'utiliser cette énergie. Il fit creuser des tunnels, sept mètres sous le niveau de la marée haute, dans lesquels il installa un mécanisme en bois de son invention; lorsque la mer montait, l'eau restait prisonnière des tunnels fermés par de solides écluses, et quand elle descendait, il contrôlait son écoulement de manière à laver toute la matière aurifère que des dizaines de travailleurs avaient entre-temps déversée.Le rendement de ces mécanismes fut tellement prodigieux que Popper les baptisa «Moissonneuses d'or». La récolte, en effet, s'élevait à presque une demi-tonne d'or par an et, grâce à ce taureau cosmique attelé au joug de l'intelligence humaine, Julio Popper pouvait se vanter d'être le premier homme qui ait «labouré et moissonné dans la mer».

Tierra del fuego (libretto), par Francisco COLOANE
Première édition : 24 janvier 2003
Traduit de l'espagnol par François Gaudry
Genre : nouvelles
192 p.
10 €
ISBN : 2859408746

Photographies

Francisco Coloane et son épouse Eliana Rojas

MENSAJE A COLOANE DE PABLO NERUDA


Francisco Coloane et Pablo Neruda


Para abrazar a Coloane hay que tener brazos largos como ríos o ser un ventarrón que lo envuelva con barba y todo o bien sentarse a examinar el problema, estimarlo en sus dimensiones, medirlo en forma sistemática y por fin tomarse una botella de vino con él y dejar la empresa para otra vez. Dejo estos planes, este abrazo, estas mediciones, esta botella para otra vez y le mando ahora unas cuantas palabras fraternales que lo circunden, lo regocijen y lo dejen dispuesto a venir por Isla Negra a desafiar y competir con el océano.


Facsímil de un mensaje manuscrito a Francisco Coloane, premio Nacional de Literatura 1964, publicado en la revista alerce, órgano de la Sociedad de Escritores de Chile (SECh), núm. 6, primavera de 1964. Publicado en las Obras Completas Tomo V, Pablo Neruda. Nerudiana dispersa II 1922 - 1973. Edición de Hernan Loyola

Coupures de presse

Article de Patrick Kéchichian paru dans le journal « Le Monde» du 9 Août 2002

MORT DE FRANCISCO COLOANE, ÉCRIVAIN DU BOUT DU MONDE

L'écrivain chilien Francisco Coloane est mort lundi 5 août à Santiago, à l'âge de 92 ans. Après des obsèques privées, le corps de l'écrivain a été incinéré dans un cimetière de la capitale. Patriarche des lettres chiliennes, formidable conteur lu et célébré dans toute l'Amérique latine, Coloane a attaché son nom à la Terre de Feu et aux deux océans qui la baignent. Álvaro Mutis a dit de lui que c'était un nouveau Jack London. Francisco Coloane est né le 19 juillet 1910 sur l'île de Chiloé, à l'extrême sud du Chili, avec, disait-il, "un pied dans la mer, l'autre sur terre, un côté pour souffrir, l'autre pour se sauver."

Il résumait ainsi sa vocation : "Mon père était un autodidacte de la mer, comme moi de la plume, quoique je ne manie pas la plume comme lui le harpon". Il a 7 ans lorsque son père meurt. La famille s'installe à Punta Arenas, 2 000 kilomètres plus au sud. Il entre au séminaire, mais n'y reste pas longtemps. Commence alors une vie aventureuse et instable, digne de ses romans. Il fera tous les métiers : pêcheur de baleines et greffier de tribunal, berger et ouvrier sur une plate-forme pétrolière. Toujours les deux côtés, et une inguérissable passion pour les horizons marins. "C'est la nature qui m'inspire, c'est la vie qui a fait de moi un écrivain", affirmait-il.

Jusqu'au milieu des années 1930, Coloane oublie la lecture et l'écriture. Mais c'est probablement au cours de cette période de sa vie qu'il fait provision d'impressions et d'observations. "Je me suis rendu compte que les pensées qui avaient déserté mon esprit étaient remplacées par d'autres, et ce fut une sorte de renaissance." Journaliste à Santiago, il fait paraître ses premiers livres, Cap Horn (d'abord publié dans le quotidien El Mercurio) et Le Dernier Mousse, au début de la décennie suivante. Dans son autobiographie, Le Passant du bout du monde, traduite en français en 2000 - année où le festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo lui rend hommage pour ses 90 ans - il explique que toute son inspiration est née et s'est nourrie de la réalité du Chili tout entier, des étendues désertes de la Patagonie à l'océan et à tous ses mystères. "Mon travail littéraire a tenu au désir de raconter la réalité de ces régions australes, car elle dépasse ce que peut créer l'imagination", écrivait-il.

Tout en restant discret sur sa vie privée, il raconte son engagement en faveur des Indiens, premiers habitants de son pays. Membre du parti socialiste marxiste à partir de 1938, il fut aussi l'ami du poète Pablo Neruda, et c'est à lui que revint la tâche de prononcer l'éloge funèbre du Prix Nobel de littérature, en 1973, après le coup d'Etat d'Augusto Pinochet. C'est en 1994, que son premier livre, Tierra del Fuego, fut traduit en France par François Gaudry aux éditions Phébus où parurent tous ses autres titres, comme Cap Horn, El Guanaco, Le Golfe des peines ou Le Sillage de la baleine. Plusieurs ont été repris en édition de poche, au Seuil. En France, comme dans d'autres pays, son ouvre a connu un grand succès. Lecteur d'Herman Melville et de Joseph Conrad, de Malcom Lowry et de Jules Verne, Francisco Coloane sait être à la fois lyrique et d'une précision totale dans ses descriptions de la nature, des paysages et des éléments. "L'écrivain doit prendre soin de l'écriture comme l'équipage prend soin du pont", aimait-il souligner. Plages solitaires "où viennent mourir de gigantesques glaciers", "montagnes hérissées de pics acérés", épaves rouillées de baleiniers "dressant leurs proues comme le cou d'un cormoran enchaîné". sont quelques uns des décors des histoires de pirates, de chasseurs de phoques ou de trafiquants de fourrures qu'il aimait narrer, tel un vieux sage à la silhouette familière et à la barbe très blanche, doué d'une inépuisable mémoire.

Dans un texte qu'il avait confié au Monde en 2000, il écrivait : "J'ai parcouru de nombreuses mers, et sur toutes sortes d'embarcations, même en canoë avec un Indien yagan depuis l'île Navarino jusqu'à la baie de Yendegaia. Je suis allé aux îles Galapagos, paradis d'importantes espèces animales. J'ai vu quatre cachalots dont les os noirs se détachaient dans la houle qui fendait les flancs du bateau"...

Patrick Kéchichian

9 Août 2002 - Article de Patrick Kéchichian paru dans le journal "Le Monde"
Il avait, disait-il, "un pied dans la mer, l'autre sur terre, un côté pour souffrir, l'autre pour se sauver".

mardi 29 décembre 2009

Jiroux E. (2006): Le genere Ceroglossus, Magellanes

Les livres et les voix de la nature

Avec la voix de Richard Herlin. Réalisé par Nathalie Grivot.


Francisco Coloane est "le" chroniqueur du Grand Sud chilien, surnommé "le fils de la baleine blanche" par son ami Pablo Neruda. Mort en 2002, il a laissé une quinzaine de chefs-d'œuvre. Son éditeur rappelle que "si 'Tierra de Fuego' était son préféré, ses lecteurs, eux, avaient toujours placé 'Cap Horn' au plus haut".

Ces deux recueils de nouvelles suivent le fil d'une même histoire, celle d'un bout du monde glacial où la violence de la nature flirte avec la folie des hommes. Ecrit le premier, en 1942, "Cap Horn" s'ouvre avec "La voix du vent", un récit qui donne le ton des histoires qui suivront.

"Les gardiens de troupeaux de la Terre de Feu et de Patagonie combattent leur principal ennemi, la solitude, avec du whisky et du gin ; Denis, lui, disposait désormais d'une femme." Prostituée à Rio Grande, Lucrecia a accepté de l'épouser et de garder avec lui le Poste 22 de l'estancia China Creek. L'endroit est un peu sauvage, mais le travail payé double : en quelques années, ils feraient assez d'économies pour changer de vie...

EXTRAIT : "Mais lorsque deux êtres qui ne s'entendent pas doivent vivre ensemble au milieu d'une nature immense et désolée, le sentiment de solitude augmente et se mue en angoisse. Ainsi, la solitude de Denis augmentait et devenait, pour Lucrecia, insupportable. En outre, une étrange nostalgie de son ancien métier s'était éveillée en lui. Denis avait été toute sa vie dépeceur… :

Avec la voix de Richard Herlin. Réalisé par Nathalie Grivot.

Prose

Tierra del fuego (libretto), par Francisco COLOANE
Première édition : 24 janvier 2003
Traduit de l'espagnol par François Gaudry
Genre : nouvelles
192 p.
10 €
ISBN : 2859408746

Le Sillage de la baleine, par Francisco COLOANE
Paru le 01/05/1998
Traduit de l'espagnol par François Gaudry
Genre : roman
256 p.
19,50 €
ISBN : 2859405283


Paru le 18 mars 2005
Traduit de l'espagnol par François Gaudry
Genre : roman
192 p.
10 €
ISBN : 2752900813

Francisco Coloane Biographie

lundi 28 décembre 2009

Francisco Coloane dans l'Encyclopædia Universalis

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Médaille Francisco Coloane. Casa de Moneda de Chile, (Maison de la Monnaie du Chili). procédé : imprimé. Matériel Bronze, format 60 mms de diamètre

« Bien que nous ayons affaire à un auteur débutant, il est d'un talent prometteur et je ne serais pas étonné qu'il devienne un grand écrivain qui prendra pour sujet la Patagonie, laquelle attend depuis longtemps celui qui chantera la vie intense qu'on y mène. » Ces mots, prononcés par l'écrivain Manuel Rojas, en 1940, remettant un prix littéraire à Coloane, alors inconnu en littérature, furent prémonitoires. « Un Jack London des terres australes » : cette appellation définit bien l'écrivain chilien (prix national de littérature, en 1964), dont l'œuvre exalte dans leur âpre beauté ou leur brutalité sauvage, les paysages et les habitants de l'Archipel de Chiloé, de la région de Magellan et de l'Antarctique chilien.

« Autodidacte de la plume », l'inspiration de Coloane s'inscrit dans un courant néo-réaliste empreint de lyrisme ou de fantastique, dérivé du criollismo, qui eut cours dans la première moitié du XXe siècle, et dont Mariano Latorre (1896-1955) fut, au Chili, le représentant majeur. Coloane s'intéresse à des contrées ou des aspects du territoire national délaissés jusqu'alors par la littérature.

Francisco Coloane Cárdenas est né le 19 juillet 1910 à Quemchi, petit port de la côte orientale de la grande île de Chiloé, dans l'océan Pacifique. Son père, capitaine d'un bateau de cabotage, lui transmet son amour des océans et des géographies marines, qui constituent les éléments essentiels des paysages et des intrigues de ses romans et de ses nouvelles. Il abandonne vite ses études au lycée de Punta Arenas - la ville la plus australe du monde, avec Ushuaia - pour se lancer dans l'aventure. Grâce aux multiples métiers qu'il exerce - éleveur de moutons, contremaître d'estancia, dresseur de chevaux, chasseur de baleines, baroudeur des mers, employé de bureau, dessinateur de cartes marines... -, il va connaître de façon intime les mentalités et les mœurs des peuplades indiennes (Alakaluf ou Kaweskar, Yamena, Ona), dont il sera un ardent défenseur, tout comme il fréquente de près la population cosmopolite des régions antarctiques, où se mêlent marins, chasseurs de phoques, chercheurs d'or, contrebandiers, pirates, bandits, trafiquants, bourlingueurs, aventuriers sans foi ni loi.

Journaliste à Santiago, Coloane écrit des nouvelles dans un style admirable de force expressive et de sobriété : « Compagnons de travail, individus en chair et en os, connaissance de la nature, immensité des pampas et des mers ont donné vie à mon travail littéraire. » Les quatorze récits de Cabo de Hornos (1941) restituent, dans un climat hallucinant et une écriture abrupte, des épisodes dramatiques où le réel se confond avec la légende. L'œuvre se poursuit, nourrie par la nostalgie des régions australes. Dans El Último Grumete de la Baquedano (1941), un adolescent, embarqué clandestinement sur une corvette, se lance à la poursuite de son frère perdu en mer. Les histoires contées dans Golfo de Penas (1945), Los Conquistadores de la Antártida (1945), Tîerra del Fuego (1957), El Camino de la Ballena (1962) ont toujours pour cadre les confins du monde, ce Grand Sud qui fascine le romancier. El Guanaco Blanco (1981) évoque l'extermination des Indiens Selk'nam, chassés de leurs terres transformées en pâturages à moutons.

Ami de Pablo Neruda, dont il partagea l'idéal communiste, Coloane lui rendit un dernier hommage à sa mort, quelques jours après le coup d'État militaire, de Pinochet, le 11 septembre 1973. Los Pasos del hombre (2000) retrace le « parcours accidenté » avec sa « profusion de rencontres et d'expériences » du vieux baroudeur. Ce récit de vie fantaisiste, où s'inscrivent des souvenirs d'exil en Argentine et des voyages en Europe et en Asie, s'achève sur ces mots : « Je rêve souvent de mon père et j'entends ses derniers mots : „Reprenons la mer“. » Son ultime livre, Naufragios : Reflexiones y Ficciones (2002), mêle l'autobiographie à l'évocation de diverses catastrophes maritimes, de 1520 à nos jours. Membre de l'Academia Chilena de la Lengua, célèbre dans toute l'Amérique latine, Francisco Coloane est mort le 5 août 2002, à Santiago du Chili.

Bernard Sesé

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El último grumete de la Baquedano

Francisco Coloane chez Éditions Phébus

Feuilleter

Tierra del Fuego, Cap Horn, Le Golfe des peines, par Francisco Coloane
Voici pour la première fois réunis les trois recueils mythiques du Chilien Francisco Coloane : Tierra del Fuego (Phébus, 1994), Cap Horn (Phébus, 1994) et Le Golfe des peines (Phébus, 1997).
Quarante et une nouvelles où l’extrême sud du Chili, si cher à l’écrivain, se déploie dans la rumeur glacée des vents et de la mer. Le monde austral est le théâtre grandiose où se croisent matelots, contrebandiers, chasseurs de phoques, chercheurs d’or et Indiens dépossédés.
Des vies soulevées par la violence du Grand Sud où les songes, s’ils ne demeurent, se noient dans l’alcool et le sang. Ces âmes solitaires et démunies hantent les histoires de Coloane dans une quête insoluble qui n’a d’autre issue que la folie. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le véritable héros de ces récits est le Grand Sud lui-même.
Ce bout du bout du monde, paysage désolé où l’imaginaire sud-américain trouve son terreau fertile. Les nouvelles de Coloane, dans une langue dépouillée comme la terre qu’il décrit, et aussi sensuelle que les éléments qui se déchaînent, demeurent des classiques incontournables de la littérature chilienne.

LES PREMIÈRES ÉDITIONS DE FRANCISCO COLOANE




Cabo de Hornos (1941)

El último grumete de la Baquedano (1941)

La Tierra del Fuego se apaga (1945)

Golfo de Penas (1945)

Los conquistadores de la Antártida (1945)

Tierra del Fuego (1956)

Viaje al Este (1958)

El camino de la ballena (1962)

El chilote Otey y otros relatos (1971)

Rastros del Guanaco Blanco (1980)

Crónicas de la India (1983)

Velero Anclado (1995)

Cuentos completos (1999)

Papeles recortados (2004) libro póstumo

Última carta (2005) libro póstumo