mercredi 30 décembre 2009

MORT DE FRANCISCO COLOANE, ÉCRIVAIN DU BOUT DU MONDE

L'écrivain chilien Francisco Coloane est mort lundi 5 août à Santiago, à l'âge de 92 ans. Après des obsèques privées, le corps de l'écrivain a été incinéré dans un cimetière de la capitale. Patriarche des lettres chiliennes, formidable conteur lu et célébré dans toute l'Amérique latine, Coloane a attaché son nom à la Terre de Feu et aux deux océans qui la baignent. Álvaro Mutis a dit de lui que c'était un nouveau Jack London. Francisco Coloane est né le 19 juillet 1910 sur l'île de Chiloé, à l'extrême sud du Chili, avec, disait-il, "un pied dans la mer, l'autre sur terre, un côté pour souffrir, l'autre pour se sauver."

Il résumait ainsi sa vocation : "Mon père était un autodidacte de la mer, comme moi de la plume, quoique je ne manie pas la plume comme lui le harpon". Il a 7 ans lorsque son père meurt. La famille s'installe à Punta Arenas, 2 000 kilomètres plus au sud. Il entre au séminaire, mais n'y reste pas longtemps. Commence alors une vie aventureuse et instable, digne de ses romans. Il fera tous les métiers : pêcheur de baleines et greffier de tribunal, berger et ouvrier sur une plate-forme pétrolière. Toujours les deux côtés, et une inguérissable passion pour les horizons marins. "C'est la nature qui m'inspire, c'est la vie qui a fait de moi un écrivain", affirmait-il.

Jusqu'au milieu des années 1930, Coloane oublie la lecture et l'écriture. Mais c'est probablement au cours de cette période de sa vie qu'il fait provision d'impressions et d'observations. "Je me suis rendu compte que les pensées qui avaient déserté mon esprit étaient remplacées par d'autres, et ce fut une sorte de renaissance." Journaliste à Santiago, il fait paraître ses premiers livres, Cap Horn (d'abord publié dans le quotidien El Mercurio) et Le Dernier Mousse, au début de la décennie suivante. Dans son autobiographie, Le Passant du bout du monde, traduite en français en 2000 - année où le festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo lui rend hommage pour ses 90 ans - il explique que toute son inspiration est née et s'est nourrie de la réalité du Chili tout entier, des étendues désertes de la Patagonie à l'océan et à tous ses mystères. "Mon travail littéraire a tenu au désir de raconter la réalité de ces régions australes, car elle dépasse ce que peut créer l'imagination", écrivait-il.

Tout en restant discret sur sa vie privée, il raconte son engagement en faveur des Indiens, premiers habitants de son pays. Membre du parti socialiste marxiste à partir de 1938, il fut aussi l'ami du poète Pablo Neruda, et c'est à lui que revint la tâche de prononcer l'éloge funèbre du Prix Nobel de littérature, en 1973, après le coup d'Etat d'Augusto Pinochet. C'est en 1994, que son premier livre, Tierra del Fuego, fut traduit en France par François Gaudry aux éditions Phébus où parurent tous ses autres titres, comme Cap Horn, El Guanaco, Le Golfe des peines ou Le Sillage de la baleine. Plusieurs ont été repris en édition de poche, au Seuil. En France, comme dans d'autres pays, son ouvre a connu un grand succès. Lecteur d'Herman Melville et de Joseph Conrad, de Malcom Lowry et de Jules Verne, Francisco Coloane sait être à la fois lyrique et d'une précision totale dans ses descriptions de la nature, des paysages et des éléments. "L'écrivain doit prendre soin de l'écriture comme l'équipage prend soin du pont", aimait-il souligner. Plages solitaires "où viennent mourir de gigantesques glaciers", "montagnes hérissées de pics acérés", épaves rouillées de baleiniers "dressant leurs proues comme le cou d'un cormoran enchaîné". sont quelques uns des décors des histoires de pirates, de chasseurs de phoques ou de trafiquants de fourrures qu'il aimait narrer, tel un vieux sage à la silhouette familière et à la barbe très blanche, doué d'une inépuisable mémoire.

Dans un texte qu'il avait confié au Monde en 2000, il écrivait : "J'ai parcouru de nombreuses mers, et sur toutes sortes d'embarcations, même en canoë avec un Indien yagan depuis l'île Navarino jusqu'à la baie de Yendegaia. Je suis allé aux îles Galapagos, paradis d'importantes espèces animales. J'ai vu quatre cachalots dont les os noirs se détachaient dans la houle qui fendait les flancs du bateau"...

Patrick Kéchichian

9 Août 2002 - Article de Patrick Kéchichian paru dans le journal "Le Monde"
Il avait, disait-il, "un pied dans la mer, l'autre sur terre, un côté pour souffrir, l'autre pour se sauver".